441 Quarante-huit heures n'étaient pas passées que certains faits que j'appris

Quarante-huit heures n'étaient pas passées que certains faits que j'appris me prouvèrent que je m'étais absolument trompé dans l'interprétation des paroles de Robert : « Tous ceux qui ne sont pas au front, c'est qu'ils ont peur. » Saint-Loup avait dit cela pour briller dans la conversation, pour faire de l'originalité psychologique, tant qu'il n'était pas sûr que son engagement serait accepté. Mais il faisait pendant ce temps-là des pieds et des mains pour qu'il le fût, étant en cela moins original, au sens qu'il croyait qu'il fallait donner à ce mot, mais plus profondément français de Saint-André-des-Champs, plus en conformité avec tout ce qu'il y avait à ce moment-là de meilleur chez les Français de Saint-André-des-Champs, seigneurs, bourgeois et serfs respectueux des seigneurs ou révoltés contre les seigneurs, deux divisions également françaises de la même famille, sous-embranchement Françoise et sous-embranchement Morel, d'où deux flèches se dirigeaient, pour se réunir à nouveau, dans une même direction, qui était la frontière. Bloch avait été enchanté d'entendre l'aveu de lâcheté d'un « nationaliste » (qui l'était d'ailleurs si peu) et comme Saint-Loup lui avait demandé si lui-même devait partir, avait pris une figure de grand-prêtre pour répondre : « Myope. »

Mais Bloch avait complètement changé d'avis sur la guerre quelques jours après, où il vint me voir affolé. Quoique « myope » il avait été reconnu bon pour le service. Je le ramenais chez lui quand nous rencontrâmes Saint-Loup qui avait rendez-vous pour être présenté, au ministère de la Guerre, à un colonel, avec un ancien officier, « M. de Cambremer », me dit-il. « Ah ! mais c'est vrai, c'est d'une ancienne connaissance que je te parle. Tu connais aussi bien que moi Cancan. » Je lui répondis que je le connaissais en effet et sa femme aussi, que je ne les appréciais qu'à demi. Mais j'étais tellement habitué depuis que je les avais vus pour la première fois à considérer la femme comme une personne malgré tout remarquable, connaissant à fond Schopenhauer, et ayant accès en somme dans un milieu intellectuel qui était fermé à son grossier époux que je fus d'abord étonné d'entendre Saint-Loup me répondre : « Sa femme est idiote, je te l'abandonne. Mais lui est un excellent homme qui était doué et qui est resté fort agréable. » Par l'« idiotie » de la femme, Saint-Loup entendait sans doute le désir éperdu de celle-ci de fréquenter le grand monde, ce que le grand monde juge le plus sévèrement. Par les qualités du mari, sans doute quelque chose de celles que lui reconnaissait sa mère, quand elle le trouvait le mieux de la famille. Lui du moins ne se souciait pas des duchesses, mais à vrai dire c'est là une « intelligence » qui diffère autant de celle qui caractérise les penseurs, que « l'intelligence » reconnue par le public à tel homme riche « d'avoir su faire sa fortune ». Mais les paroles de Saint-Loup ne me déplaisaient pas en ce qu'elles rappelaient que la prétention avoisine la bêtise et que la simplicité a un goût un peu caché mais agréable. Je n'avais pas eu, il est vrai, l'occasion de savourer celle de M. de Cambremer. Mais c'est justement ce qui fait qu'un être est tant d'êtres différents selon les personnes qui le jugent, en dehors même des différences de jugement. De M. de Cambremer je n'avais connu que l'écorce. Et sa saveur, qui me fut attestée par d'autres, m'était inconnue.

Bloch nous quitta devant sa porte, débordant d'amertume contre Saint-Loup, lui disant qu'eux autres, « beaux fils » galonnés, paradant dans les états-majors, ne risquaient rien, et que lui, simple soldat de 2e classe, n'avait pas envie de se faire « trouer la peau pour Guillaume ». « Il paraît qu'il est gravement malade, l'empereur Guillaume », répondit Saint-Loup. Bloch qui, comme tous les gens qui tiennent de près à la Bourse, accueillait avec une facilité particulière les nouvelles sensationnelles, ajouta : « On dit même beaucoup qu'il est mort. » À la Bourse tout souverain malade, que ce soit Édouard VII ou Guillaume II, est mort, toute ville sur le point d'être assiégée est prise. « On ne le cache, ajouta Bloch, que pour ne pas déprimer l'opinion chez les Boches. Mais il est mort dans la nuit d'hier. Mon père le tient d'une source de tout premier ordre. » Les sources de tout premier ordre étaient les seules dont tînt compte M. Bloch le père, soit que, par la chance qu'il avait, grâce à de « hautes relations », d'être en communication avec elles, il en reçût la nouvelle encore secrète que l'Extérieure allait monter ou la de Beers fléchir. D'ailleurs, si à ce moment précis se produisait une hausse sur la de Beers ou des « offres » sur l'Extérieure, si le marché de la première était « ferme » et « actif », celui de la seconde « hésitant », « faible », et qu'on s'y tînt « sur la réserve », la source de premier ordre n'en restait pas moins une source de premier ordre. Aussi Bloch nous annonça-t-il la mort du Kaiser d'un air mystérieux et important, mais aussi rageur. Il était particulièrement exaspéré d'entendre Robert dire : « l'empereur Guillaume ». Je crois que sous le couperet de la guillotine Saint-Loup et M. de Guermantes n'auraient pas pu dire autrement. Deux hommes du monde restant seuls vivants dans une île déserte, où ils n'auraient à faire preuve de bonnes façons pour personne, se reconnaîtraient à ces traces d'éducation, comme deux latinistes citeraient correctement du Virgile. Saint-Loup n'eût jamais pu, même torturé par les Allemands, dire autrement que « l'empereur Guillaume ». Et ce savoir-vivre est malgré tout l'indice de grandes entraves pour l'esprit. Celui qui ne sait pas les rejeter reste un homme du monde. Cette élégante médiocrité est d'ailleurs délicieuse – surtout avec tout ce qui s'y allie de générosité cachée et d'héroïsme inexprimé – à côté de la vulgarité de Bloch, à la fois pleutre et fanfaron, qui criait à Saint-Loup : « Tu ne pourrais pas dire Guillaume tout court ? C'est ça, tu as la frousse, déjà ici tu te mets à plat ventre devant lui ! Ah ! ça nous fera de beaux soldats à la frontière, ils lècheront les bottes des Boches. Vous êtes des galonnés qui savez parader dans un carrousel. Un point, c'est tout. »

« Ce pauvre Bloch veut absolument que je ne fasse que parader », me dit Saint-Loup en souriant quand nous eûmes quitté notre camarade. Et je sentis bien que parader n'était pas du tout ce que désirait Robert, bien que je ne me rendisse pas compte alors de ses intentions aussi exactement que je le fis plus tard, quand la cavalerie restant inactive, il obtint de servir comme officier d'infanterie puis de chasseurs à pied, et enfin quand vint la suite qu'on lira plus loin. Mais du patriotisme de Robert, Bloch ne se rendait pas compte simplement parce que Robert ne l'exprimait nullement. Si Bloch nous avait fait des professions de foi méchamment antimilitaristes une fois qu'il avait été reconnu « bon », il avait eu préalablement les déclarations les plus chauvines quand il se croyait réformé pour myopie. Mais ces déclarations, Saint-Loup eût été incapable de les faire ; d'abord par une espèce de délicatesse morale qui empêche d'exprimer les sentiments trop profonds et qu'on trouve tout naturels. Ma mère autrefois non seulement n'eût pas hésité une seconde à mourir pour ma grand-mère mais aurait horriblement souffert si on l'avait empêchée de le faire. Néanmoins il m'est impossible d'imaginer rétrospectivement dans sa bouche une phrase telle que : « Je donnerais ma vie pour ma mère. » Aussi tacite était dans son amour de la France Robert qu'en ce moment je trouvais beaucoup plus Saint-Loup (autant que je pouvais me représenter son père) que Guermantes. Il eût été préservé aussi d'exprimer ces sentiments-là par la qualité en quelque sorte morale de son intelligence. Il y a chez les travailleurs intelligents et vraiment sérieux une certaine aversion pour ceux qui mettent en littérature ce qu'ils font, le font valoir. Nous n'avions été ensemble ni au lycée ni à la Sorbonne, mais nous avions séparément suivi certains cours des mêmes maîtres (et je me rappelle le sourire de Saint-Loup) qui, faisant un cours remarquable, comme quelques autres, veulent se faire passer pour hommes de génie, en donnant un nom ambitieux à leurs théories. Pour un peu que nous en parlions, Robert riait de bon coeur. Naturellement notre prédilection n'allait pas d'instinct aux Cottard ou aux Brichot, mais enfin nous avions une certaine considération pour les gens qui savaient à fond le grec ou la médecine et ne se croyaient pas autorisés pour cela à faire les charlatans. J'ai dit que si toutes les actions de maman reposaient jadis sur le sentiment qu'elle eût donné sa vie pour sa mère, elle ne s'était jamais formulé ce sentiment à elle-même et qu'en tout cas elle eût trouvé non pas seulement inutile et ridicule, mais choquant et honteux de l'exprimer aux autres ; de même il m'est impossible d'imaginer dans la bouche de Saint-Loup, me parlant de son équipement, des courses qu'il avait à faire, de nos chances de victoire, du peu de valeur de l'armée russe, de ce que ferait l'Angleterre, il m'est impossible d'imaginer dans sa bouche la phrase même la plus éloquente dite par le ministre même le plus sympathique aux députés debout et enthousiastes. Je ne peux cependant pas dire que dans ce côté négatif qui l'empêchait d'exprimer les beaux sentiments qu'il ressentait il n'y avait pas un effet de l'« esprit des Guermantes », comme on en a vu tant d'exemples chez Swann. Car si je le trouvais Saint-Loup surtout, il restait Guermantes aussi, et par là, parmi les nombreux mobiles qui excitaient son courage, il y en avait qui n'étaient pas les mêmes que ceux de ses amis de Doncières, ces jeunes gens épris de leur métier avec qui j'avais dîné chaque soir et dont tant se firent tuer à la bataille de la Marne ou ailleurs en entraînant leurs hommes.

Les jeunes socialistes qu'il pouvait y avoir à Doncières quand j'y étais mais que je ne connaissais pas parce qu'ils ne fréquentaient pas le milieu de Saint-Loup, purent se rendre compte que les officiers de ce milieu n'étaient nullement des « aristos » dans l'acception hautainement fière et bassement jouisseuse que le « populo », les officiers sortis du rang, les francs-maçons donnaient au surnom d'« aristos ». Et pareillement d'ailleurs, ce même patriotisme, les officiers nobles le rencontrèrent pleinement chez les socialistes que je les avais entendu accuser, pendant que j'étais à Doncières, en pleine affaire Dreyfus, d'être des « sans-patrie ». Le patriotisme des militaires, aussi sincère, aussi profond, avait pris une forme définie qu'ils croyaient intangible et sur laquelle ils s'indignaient de voir jeter l'opprobre, tandis que les patriotes en quelque sorte inconscients, indépendants, sans religion patriotique définie, qu'étaient les radicaux-socialistes, n'avaient pas su comprendre quelle réalité profonde vivait dans ce qu'ils croyaient de vaines et haineuses formules.

Sans doute Saint-Loup comme eux s'était habitué à développer en lui, comme la partie la plus vraie de lui-même, la recherche et la conception des meilleures manoeuvres en vue des plus grands succès stratégiques et tactiques, de sorte que pour lui comme pour eux la vie de son corps était quelque chose de relativement peu important qui pouvait être facilement sacrifié à cette partie intérieure, véritable noyau vital chez eux autour duquel l'existence personnelle n'avait de valeur que comme un épiderme protecteur. Dans le courage de Saint-Loup il y avait des éléments plus caractéristiques, et où on eût aisément reconnu la générosité qui avait fait au début le charme de notre amitié, et aussi le vice héréditaire qui s'était éveillé plus tard chez lui, et qui, joint à un certain niveau intellectuel qu'il n'avait pas dépassé, lui faisait non seulement admirer le courage, mais pousser l'horreur de l'efféminement jusqu'à une certaine ivresse au contact de la virilité. Il trouvait, chastement sans doute, à vivre à la belle étoile avec des Sénégalais qui faisaient à tout instant le sacrifice de leur vie, une volupté cérébrale où il entrait beaucoup de mépris pour les « petits messieurs musqués », et qui, si opposée qu'elle lui semble, n'était pas si différente de celle que lui donnait cette cocaïne dont il avait abusé à Tansonville et dont l'héroïsme – comme un remède qui supplée à un autre – le guérissait. Dans son courage il y avait d'abord cette double habitude de politesse qui d'une part le faisait louanger les autres mais pour soi-même se contenter de bien faire sans en rien dire, au contraire d'un Bloch qui lui avait dit dans notre rencontre : « Naturellement vous canneriez », et qui ne faisait rien ; et d'autre part le poussait à tenir pour rien ce qui était à lui, sa fortune, son rang, sa vie même, à les donner. En un mot, la vraie noblesse de sa nature. Mais tant de sources se confondent dans l'héroïsme que le goût nouveau qui s'était déclaré en lui, et aussi la médiocrité intellectuelle qu'il n'avait pu dépasser y avaient leur part. En prenant les habitudes de M. de Charlus, Robert s'était trouvé prendre aussi, quoique sous une forme fort différente, son idéal de virilité.

« En avons-nous pour longtemps ? » dis-je à Saint-Loup. « Non, je crois à une guerre très courte », me répondit-il. Mais ici, comme toujours, ses arguments étaient livresques. « Tout en tenant compte des prophéties de Moltke, relis », me dit-il, comme si je l'avais déjà lu, « le décret du 28 octobre 1913 sur la conduite des grandes unités, tu verras que le remplacement des réserves du temps de paix n'est pas organisé, ni même prévu, ce qu'on n'eût pas manqué de faire si la guerre devait être longue. » Il me semblait qu'on pouvait interpréter le décret en question non comme une preuve que la guerre serait courte, mais comme l'imprévoyance qu'elle le serait, et de ce qu'elle serait, chez ceux qui l'avaient rédigé, et qui ne soupçonnaient ni ce que serait dans une guerre stabilisée l'effroyable consommation du matériel de tout genre, ni la solidarité de divers théâtres d'opérations.

En dehors de l'homosexualité, chez les gens les plus opposés par nature à l'homosexualité, il existe un certain idéal conventionnel de virilité, qui, si l'homosexuel n'est pas un être supérieur, se trouve à sa disposition, pour qu'il le dénature d'ailleurs. Cet idéal – de certains militaires, de certains diplomates – est particulièrement exaspérant. Sous sa forme la plus basse, il est simplement la rudesse du coeur d'or qui ne veut pas avoir l'air d'être ému, et qui au moment d'une séparation avec un ami qui va peut-être être tué, a au fond une envie de pleurer dont personne ne se doute parce qu'il la recouvre sous une colère grandissante qui finit par cette explosion au moment où on se quitte : « Allons, tonnerre de Dieu ! bougre d'idiot, embrasse-moi donc et prends donc cette bourse qui me gêne, espèce d'imbécile. » Le diplomate, l'officier, l'homme qui sent que seule une grande oeuvre nationale compte, mais qui a tout de même eu une affection pour le « petit » qui était à la légation ou au bataillon et qui est mort des fièvres ou d'une balle, présente le même goût de virilité sous une forme plus habile, plus savante, mais au fond aussi haïssable. Il ne veut pas pleurer le « petit », il sait que bientôt on n'y pensera pas plus que le chirurgien bon coeur qui pourtant, le soir de la mort d'une petite malade contagieuse, a du chagrin qu'il n'exprime pas. Pour peu que le diplomate soit écrivain et raconte cette mort, il ne dira pas qu'il a eu du chagrin ; non ; d'abord par « pudeur virile », ensuite par habileté artistique qui fait naître l'émotion en la dissimulant. Un de ses collègues et lui veilleront le mourant. Pas un instant ils ne diront qu'ils ont du chagrin. Ils parleront des affaires de la légation ou du bataillon, même avec plus de précision que d'habitude :

« B*** me dit : “Vous n'oublierez pas qu'il y a demain revue du général, tâchez que vos hommes soient propres.” Lui qui était d'habitude si doux avait un ton plus sec que d'habitude, je remarquai qu'il évitait de me regarder. Moi-même je me sentais nerveux aussi. »

Et le lecteur comprend que ce ton sec, c'est le chagrin chez des êtres qui ne veulent pas avoir l'air d'avoir du chagrin, ce qui serait simplement ridicule, mais ce qui est aussi assez désespérant et hideux, parce que c'est la manière d'avoir du chagrin d'êtres qui croient que le chagrin ne compte pas, que la vie est plus sérieuse que les séparations, etc., de sorte qu'ils donnent dans les morts cette impression de mensonge, de néant, que donne au Jour de l'An le monsieur qui, en vous apportant des marrons glacés, dit : « Je vous la souhaite bonne et heureuse » en ricanant, mais le dit tout de même. Pour finir le récit de l'officier ou du diplomate veillant, la tête couverte parce qu'on a transporté le blessé en plein air, le moribond, à un moment donné tout est fini :

« Je pensais : il faut retourner préparer les choses pour l'astiquage ; mais je ne sais vraiment pas pourquoi, au moment où le docteur lâcha le pouls, B*** et moi, il se trouva que sans nous être entendus, le soleil tombait d'aplomb, peut-être avions-nous chaud, debout devant le lit, nous enlevâmes nos képis. »

Et le lecteur sent bien que ce n'est pas à cause de la chaleur du soleil, mais par émotion devant la majesté de la mort que les deux hommes virils, qui jamais n'ont le mot tendresse ou chagrin à la bouche, se sont découverts.

L'idéal de virilité des homosexuels à la Saint-Loup n'est pas le même mais aussi conventionnel et aussi mensonger. Le mensonge gît pour eux dans le fait de ne pas vouloir se rendre compte que le désir physique est à la base des sentiments auxquels ils donnent une autre origine. M. de Charlus détestait l'efféminement. Saint-Loup admire le courage des jeunes hommes, l'ivresse des charges de cavalerie, la noblesse intellectuelle et morale des amitiés d'homme à homme, entièrement pures, où on sacrifie sa vie l'un pour l'autre. La guerre qui fait, des capitales où il n'y a plus que des femmes, le désespoir des homosexuels, est au contraire le roman passionné des homosexuels, s'ils sont assez intelligents pour se forger des chimères, pas assez pour savoir les percer à jour, reconnaître leur origine, se juger. De sorte qu'au moment où certains jeunes gens s'engagèrent simplement par esprit d'imitation sportive, comme une année tout le monde joue au « diabolo », pour Saint-Loup la guerre fut davantage l'idéal même qu'il s'imaginait poursuivre dans ses désirs beaucoup plus concrets mais ennuagés d'idéologie, cet idéal servi en commun avec les êtres qu'il préférait, dans un ordre de chevalerie purement masculine, loin des femmes, où il pourrait exposer sa vie pour sauver son ordonnance, et mourir en inspirant un amour fanatique à ses hommes. Et ainsi, quoi qu'il y eût bien d'autres choses dans son courage, le fait qu'il était un grand seigneur s'y retrouvait, et s'y retrouvait aussi, sous une forme méconnaissable et idéalisée, l'idée de M. de Charlus que c'était de l'essence d'un homme de n'avoir rien d'efféminé. D'ailleurs de même qu'en philosophie et en art deux idées analogues ne valent que par la manière dont elles sont développées, et peuvent différer grandement, si elles sont exposées par Xénophon ou par Platon, de même tout en reconnaissant combien ils tiennent en faisant cela l'un de l'autre, j'admire Saint-Loup demandant à partir au point le plus dangereux, infiniment plus que M. de Charlus évitant de porter des cravates claires.

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